Judge Thermodynamics

Après une courte pause estivale, une petite note autobiographique légère et presque poético-tragique, parlant des fondements sur lesquels repose l’univers entier.

Imaginez une petite machine sympa. Elle fonctionne à vapeur et elle fait tourner une petite roue. Disons qu’elle sert à créer des motifs rigolos si on accroche un crayon à la roue.

Si on la laisse marcher, elle va finir par s’arrêter: il n’y a plus d’eau pour faire de la vapeur ou il n’y a plus de petit charbon pour chauffer l’eau.


Notre machine sur la première image, puis après un certain temps sur la deuxième image (notez l’arrêt dans le deuxième dessin).


Le résultat de l’experience: un petit motif sympa qui reste dépouillé malgré tout.

Imaginez maintenant qu’un type trouve un moyen de faire tourner sa machine indéfiniment. Elle ne s’arrête jamais. Le type vient d’inventer ce qu’on appelle, dans le jargon technique, le mouvement perpétuel.


La même machine, mais dotée de propriétés incroyables. En haut, l’inventeur.


Notez la richesse du résultat.

Hé bien c’est INTERDIT.

Il y a des lois qui servent à calmer les rigolos dans le genre du type plus haut. Ça s’appelle Les Lois de la Thermodynamique. Le nom complet est “Les Lois de la Brigade de Répression aux Infractions de la Thermodynamique” et ça rigole pas trop.


Judge Thermodynamics

Dites à n’importe quel scientifique autour de vous que les lois de la thermodynamique c’est un peu du flan, et que si vous voulez vous vous en passez.
Ajoutez “c’est bon ça va, quoi” et observez son expression:


“Hein?”

C’est bien la preuve que ça rigole pas.

Ces lois, immuables et putain de sacrées, sont les suivantes:


Je pense que le message est passé.

Au cours de mes pérégrinations sur internet, je suis tombé un jour sur un forum où quelques courageux s’étaient mis en tête de fabriquer la machine qui s’arrête pas.
Le sujet s’étalait sur une centaine de pages, égrainant les idées les plus astucieuses.

C’est pas exactement où je veux en venir, mais je vais détailler les principaux systèmes pour les curieux:

La machine qui marche principalement avec des aimants. Le principe est simple: des aimants s’attirent (ou se repoussent, ça dépend du sens). Il suffit de mettre des aimants en rond avec d’autres aimants autour (dans le sens qui repousse !) et voilà le travail.

La machine qui compte sur la gravité pour faire tout le boulot. C’est l’exemple classique, l’espèce de roue avec des contre-poids.

La machine qui compte sur Archimède pour faire tout le boulot. C’est pareil que le précédent mais dans l’eau et avec des trucs qui flottent.

La machine super qui est un mélange de tout ça. Parce que des fois ça marche pas avec juste des aimants, ou juste la gravité, ou juste Archimède.

Bref, je lisais tranquillement mon petit forum, je vous jure que c’était trépidant. Plus d’une dizaine de fois, quelqu’un arrivait avec presque la solution. Il avait un montage qui marchait presque. Quelques réglages, et c’était bon. Et la version retouchée marchait presque: les réglages avaient déterré un autre petit souci de rien. Et ainsi de suite.

Et pendant ce temps:


C’est pas comme ça que j’aurais fait.

Ce jour-là, ma vie est devenue de la merde parce que je m’interdis de fabriquer un machin avec des roues et des contre-poids alors que j’ai trop envie.

Pour ceux qui veulent prolonger le plaisir: le terme “mouvement perpétuel” est tombé en désuétude, mais n’hésitez pas à chercher des mots comme “énergie libre” ou “moteur + surnuméraire” par exemple (il y a d’autres noms) pour tomber sur des sites d’escrocs gonflés à bloc OU de joyeux dingos qui réussissent presque.

 

Couper du bois.

Quand on a, comme moi, une expérience de la lutherie de type autodidacte, on classe le bois dans 3 catégories:

la grosse merde:
Cette catégorie est composée de bois tout pourris, comme le cageot ou les allumettes. On peut pas faire grand chose avec. La sapin, sans dec. Quel bois de merde.
Il se trouve qu’on peut en utiliser en lutherie, MAIS c’est pas le même. C’est du sapin de luxe et il est très particulier. Un cageot réalisé en ce sapin-là couterait très cher et serait très beau.

Les ouais ok mais bon:
C’est l’ensemble de tout ce qui sert à fabriquer des chaises ou des manches à balais, genre. Alors on peut en trouver sous forme d’étagères chez Casto, mais on a envie d’en faire des étagères. C’est le hêtre par exemple.
C’est un avis personnel, mais je me demande si il existe un bois plus tarte que le hêtre.

Le contreplaqué:
C’est très très moche mais c’est magique mais c’est moche.

Alors quitte à acheter du bois, autant en trouver du beau. J’étais parti pour ne pas faire des guitares en coca-cola, souvenez-vous.
C’est à ce moment que vous trouvez du noyer, de l’érable, de l’ébène, de l’acajou, tout ça.
Rien que le nom, déjà.

Bref. Après acquisition de quelques échantillons, la connaissance des bois est mise à niveau avec de nouvelles infos.
Notamment sur la facilité de travail de chaque essence.

Parmi les sortes de bois représentées sur l’image suivante, une seule peut s’agrafer pour monter un cageot.
Les autres sont des putes qui veulent votre mort.

Mon matériel pour m’attaquer à tout ça:


Un modèle de scie courant qui traine dans un coin de la maison.

J’ai coupé mon premier manche en érable avec une scie comme ça.
Sans rire, j’ai passé deux heures pour couper 12 centimètres. Je le suis dit ensuite en passant mes mains sous l’eau fraîche en pleurant qu’il fallait que je trouve une solution.
La première solution: plus jamais du putain d’érable cette pute.
La deuxième: il va me falloir du matosse un peu plus sérieux.

Quand vous pensez “achat de matériel”, une image un peu comme ça vous vient à l’esprit:


“En route pour le rayon scies à métaux et visserie générale!”

Vous achetez une scie pas chère:


Un modèle de scie courant qui traine dans un coin de la maison (neuf).

Vous pleurez parce que ça coupe pas l’érable. Ok c’est une scie à métaux mais elle était quasi-donnée.

En cherchant un peu comment faire, je tombai sur tout un tas d’outils japonais.
Les japonais ont plein de bonnes idées de méthodes de fabrication ancestrales de plein de trucs fabriqués à la main par des vieux maitres, un truc dans le genre.
Maintenant quand je pense “achat d’outils” je pense d’abord par aller voir si un japonais ancestral a eu une super idée à propos de ça.


“En route pour fabriquer une scie par an, mais une bonne scie.”

Je fis l’acquisition de deux trois trucs qui m’ont sauvé les bras, dont La Scie Japonaise qui coupe sa race:


Houuu attention les doigts !

Si vous avez l’occasion de couper des choses de temps en temps, n’hésitez pas. Achetez une scie comme ça.
Ça ne se trouve pas exclusivement au japon, et en fait c’est même pas très cher.
C’est une scie très fine, très souple, avec un manche démesuré et de toutes petites dents qui coupent.

Observons cette scie couper une planche d’érable:


Et voilà le travail !

Grace au japon et ses outils ancestraux, je parvint à finir mon premier et dernier manche en érable. Merci le Japon.

 

Pas d’extrait sonore :(

Pour ceux qui se demandent pourquoi mais pourquoi il n’y a pas d’extrait sonore du ukulele de la note d’avant, comme je l’ai expliqué, le cône en alu s’est écroulé (bon, c’est peut-être un chat qui a marché dessus ou c’est peut-être structurel, je sais pas trop)

Pour les curieux qui se demandent à quoi ça ressemble un cône écrasé, ça ressemble à ça:


“Maintenant ça va marcher moins bien, forcément.”


“Bé du coup on va rien entendre? -Bé non, du coup.”

Un coup je referai le même, mais en mieux gaulé, il marchait pas si mal finalement.

 

Résonification.

Mes plans pour la suite étaient donc les suivants:
- Élaborer un modèle simple et bougrement solide.
- Ce modèle serait de type “à résonateur”.

Qu’est-ce qu’un instrument “à résonateur” ?

Pour comprendre le principe, les avantages et les inconvénients du résonateur, mangeons un yaourt:


Vous n’êtes pas obligé de le manger. Hé ouais.

Donnons le yaourt à un enfant en pleine croissance et gardons seulement la feuille de papier alu qui ferme le yaourt.

Bien sûr c’est bien trop petit, mais si vous trouvez de beaux yaourts bien grands, vous pouvez mouler le petit couvercle en forme de cône.

Si vous ajoutez dessus un petit support en bois sur lequel peuvent s’appuyer des cordes, vous obtenez à peu près ce qu’on appelle “un résonateur”


Le cône du résonateur et son petit support de cordes qui se pose au dessus.

L’ustensile que nous venons de créer fonctionne comme un petit haut-parleur. Sauf qu’au lieu de le faire vibrer avec une chaine hi-fi, vous le faites vibrer avec des cordes.

L’exemple du yaourt était là pour évoquer le poids et la solidité de l’engin ainsi crée: ça pèse 2 grammes, c’est franchement fragile, mais sa structure fait qu’on peut appuyer dessus (au bon endroit et bien droit) assez fort sans que ça s’écroule. Mais ça ne se fabrique pas en yaourt.

Pourquoi le résonateur ?

- D’abord pour le son. On aime ou pas, mais ça produit une sorte de son qu’on dirait amplifié. Quelque chose qui rappelle un peu une vieille radio de la seconde guerre mondiale dans le cas du ukulélé.

- C’est plutôt fort sonore.

- La mise en œuvre est assez libre. Ça peut marcher avec un cône posé sur une planche, sans caisse, sans rien, vu que c’est lui qui fait tout le boulot.

- Le seul problème: c’est trrrrrès sensible aux réglages mal faits et ça a tendance a grésiller ou vibrer dès que c’est mal installé.
(et ça a un son dégueulasse, vous diront ceux qui aiment pas)

Observons un monsieur qui va démonter sa guitare pour changer le cône. On voit bien comment ça se passe dedans.

Si ça vous énerve de voir un monsieur parler beaucoup avant de se mettre au boulot, vous pouvez aller directement à 2 minutes dans la vidéo.

Voilà, merci Monsieur.

Donc voilà, je m’étais dit: “Mon grand, on va faire une forme simple et tout simplement indestructible: une espèce de banjo.”

Voilà en quelques traits mes idées révolutionaires, pour le plaisir des yeux:


Simple.

Vous noterez le gros cylindre creux, là, à l’intérieur duquel repose le cône.
Ma crainte était que le beau rond ne se déforme sous la traction des cordes, que ça appuie sur les bords du cône si fragile et que celui-ci sombre au milieu de tout ça tel le Titanic.

Je mis donc au point un système de pièces de bois solide: des demi-cercles, fortement collé les uns aux autres, formant un fier tube de bois.


La perspective de la scène fait qu’on dirait un rond ovale mais non.

Malheureusement, le collage était un peu foireux et le bois pas si solide que ça et bien vite le joli rond devint un ovale vers le haut.
Une forme aussi difficile à décrire qu’à dessiner mais j’essaie quand même dans le schéma ci-dessous:


J’en profite pour évoquer le destin du cône en même temps.

Je mets quelques images émouvantes prises pendant la construction ainsi que deux photos du ukulélé fini.


Ukulélé, bois et métal, présence de plastique, 2008.