Des histoires de tension.

Avant de me lancer dans le grand bain, mon matériel était réparti de la façon suivante:


10% de scies, 20% de marteaux, 70% de papiers abrasifs de toutes sortes.

J’avais peu de matériel, mais la taille de mon atelier et mon budget ne me permettaient pas d’abuser de machines couteuses et grosses.
Je restais, néanmoins, passionné de papier abrasif. Il allait m’en falloir beaucoup, parce que c’est cool.


Mon atelier.

J’élaborai deux règles simples:

- Il me faut plus d’outils que juste des clous et une scie.
- Il ne faut pas que ce soit des outils électriques si il existe le même outil qui permet de faire pareil aussi bien mais à la main. C’est pas vraiment une règle obligatoire mais ça permet de garder une zénitude pas désagréable.

Et avant toute chose, je me rencardai un peu pour savoir quoi faire et comment le faire. J’ai surfé comme ça sur tous les sites de luthiers ou bricolos pendant une bonne année.

Parmi toutes les infos que je notais dans un coin, un détail m’interpella:
Les cordes, tendues sur le délicat instrument, tirent comme des dingos !

Sans déconner, accrochez vous, c’est du délire.

Prenez un ukulélé (qui pèsent moins de 250g pour certains). Il supporte à peu près ça accroché sur le mini truc qui est collé sur la caisse (le chevalet):


Échelle personnelle de visualisation de tension, équivalent à 15/20kg.

(Note: le système de calcul de tension en packs de six bouteilles de coca de 1,5l étant un système peu précis, veuillez ne pas l’utiliser dans la vraie vie.)

En comparaison, une guitare c’est ça:

On peut arrondir à “carrément un gros sac de ciment”

(Note: à partir de là, grâce à l’équivalent “sac de ciment”, on peut dire qu’on risque plus de se péter le dos que d’arracher le chevalet en tirant dessus.)

Une guitare à douze cordes:

Un MAX de packs de bouteilles de coca pour le blues.

Autant je pensais avoir tout bien compris pour les histoires de manches, de clés, de justesse ou quoi, autant là, je restais perplexe.

Je gageais que les luthiers devaient bien avoir un petit secret pour pouvoir coller l’équivalent 50 grosses bouteilles de coca sur des bouts de bois de 2mm d’épaisseur et arriver à les vendre aux gens qui ne se doutent de rien. Et tout ça avec la conscience tranquille, genre aucun risque de décapiter personne si tout pète d’un seul coup.


Un luthier dans son mystérieux atelier de luthier.

Mais j’avais moi aussi mon petit truc perso, mon petit secret:

Moi dans ma mystérieuse cuisine.

La conscience tranquille moi aussi, il ne restait plus qu’a mettre au point un modèle qui me fasse vibrer l’âme sans risque de tuer des gens.


Le sinistre défaut structurel de la tristement célèbre Gibson 30 cordes.

Vous pouvez aller calculer des tensions folles en suivant ce lien:
mcdonaldstrings.com

 

La magie du bois tordu.

Je voulais enchainer sur un beau passage parlant de lutherie à la maison, et j’ai réfléchi un peu pour savoir comment j’allais aborder la chose (parce que c’est beaucoup de mini-trucs qui se passent tous en même temps):
Des fois ça fait mal aux bras, et des fois c’est magique. Je me suis dit qu’il fallait commencer par la magie.

Je vous invite à observer la scène qui suit. Nous l’analyserons par la suite:

Nous voyons deux personnages qui viennent de découvrir le feu.
En cuisant un genre de poule de l’époque, ils découvrent que la brochette qui sert à cuire le genre de poule s’est tordue sous l’effet de la chaleur.
Leur amusement se teinte de crainte superstitieuse lorsque la brochette garde sa forme tordue par la suite.
Nos deux amis viennent de découvrir le cintrage du bois.

J’ai commencé par parler de ça, parce que c’est un truc qui m’a fait peur au début. Ça a l’air très compliqué ou quoi, et ça m’a fait faire des erreurs de jeunesse qui m’ont fait perdre un temps fou en cherchant des solutions pour contourner le problème.

Le problème était: “Comment on fait les cotés arrondis (sur les cotés des guitares, par exemple?)”

Concrètement, qu’est ce que le cintrage?

Prenez un bout de bois humidifié. Si vous le chauffez juste bien (en gros il faut que ça chauffe assez pour faire de la vapeur, mais pas assez pour que ça crame) vous pouvez le plier! Il devient mou !
Et là où ça devient dingue, c’est que quand il refroidit, il redevient en bois et il garde sa forme !

Voilà. Ça sert à faire les cotés des guitares, par exemple, mais aussi n’importe quoi qui implique de courber du bois.

Avec quoi peut on chauffer le bois ?


Le petit “?” indique que vous allez laisser libre cours à votre imagination.

En gros il faut un truc chaud: Un chalumeau qui chauffe un tube en métal, ça marche. On peut aussi faire tremper le bois dans l’eau très chaude ou le laisser dans un bain de vapeur. Un micro-ondes, hop. Un fer à repasser, ok. Un pistolet thermique pour décaper la peinture, ça roule. Faut juste faire attention à pas cramer tout.

Je me suis fait un fer à cintrer avec un pied de lit en inox, ça s’achète dans tous les magasins de bricolage.
C’est un tube en métal fixé sur une plaque avec des trous pour visser le bazar.
Dedans il y a une ampoule halogène. Elle chauffe le tube en métal, et boum, ça plie le bois quand on le tord dessus.

Je l’ai construit pour mon deuxième instrument.

Pour les plus gourmands, voici un petit film avec une qualité dégueulasse où des gens cintrent du bois pendant cinq minutes pour faire des chaises et des roues de diligence.


Cintrage du Bois – comment c'est fait ? par diem-perdidi

Voilà. Maintenant que vous savez comment il faut faire, la prochaine fois je pourrais commencer par une connerie qu’il faut pas faire.

 

Guitare (bois et métal, collection privée).

Le week-end dernier, j’ai pris des photos de près de la guitare en bois dont je parlais dans une note précédente.

Voilà. Maman m’avait fait une belle photo mais on ne voyait pas bien de près, et avouez que c’est dommage de passer à coté du gros plan.

Dans la note précédente en question, j’avais oublié des détails vraiment important !

-Et comment on le fait tenir droit, le chevalet ? Avec des clous ! hyper solide, hyper droit !

-Et comment on remet les cordes à niveau une fois qu’elles sont enroulées autour des clé pourries ? Avec des vis, mec !

-Et comment on fait des frettes rapido ? Avec du fil en nylon, old school style !
A ce propos -et vraiment je n’ai pas la réponse car j’ai oublié- je ne sais pas si cette histoire de frettes en nylon c’était un coup de génie ou de la fainéantise. Vu la tenue du manche en sapin, il est impossible de tendre des cordes en acier la dessus sans que ça plie. Du coup des frettes mobiles, c’est peut-être pas plus mal.

-Vous noterez la présence de deux trous supplémentaires dans la tête de l’instrument, sur l’image n°3. Je ne sais plus pourquoi ils sont là. Peut-être avais-je mis cinq cordes et que j’ai abandonné l’idée après m’être pris le manche dans le nez. Je ne sais plus, peut-être était-ce des trous ratés.

En revanche, je n’ai pas pu faire de petit film parce que vraiment ça aurait besoin d’un coup de restauration pour pouvoir sortir deux trois notes. Mais je confirme que ça n’a pas un son si dégueu.

 

Digression: Mais pourquoi les ukulélés ?

Dans les notes précédentes, je parlais d’expérimentations luthières audacieuses, et pas vraiment de musique. Je vais faire une petite digression (pour la suite qui parlera de fabriquer surtout des ukulélés).

Je me suis mis à la guitare il y a dix ans, à peu près.
Je m’étais acheté un belle guitare pas chère en me disant à peu près “vas y ça va être cool je vais faire de la guitare”.
Quelque chose comme l’Appel de La Musique, je sais pas si ça vous a déjà fait ça.

Pour les gens qui n’ont jamais commencé la guitare, je résume la phase 1:


La guitare, phase 1.

Et rapidement, je sais pas trop pourquoi, je me suis ennuyé.

Pour les gens qui ne se sont jamais ennuyé en jouant de la guitare, je résume la phase 2:


La guitare, phase 2.

Le truc, c’est que la guitare, ça me transportait pas tellement.

Vous voyez quand vous cherchez une chanson sur Spotify ou Deezer, et que vous tombez sur une version instrumentale à la guitare? J’éprouvais ce genre de petite déception. Pas de la haine, mais pas de l’amour, quoi.

Un jour pour mon anniversaire, j’ai eu un ukulélé.


Oh mais qu’est-ce que c’est ? Un ukulélé. Je venais de le dire juste avant.

Pourquoi aimer un ukulélé:
(hors considérations sonores ou quoi: si le son vous horripile, il faut pas insister hein)

- Quand vous débutez, vous pouvez jouer un truc quasi-tout de suite.

- Vous débutez mais vous ne vous éclatez pas les doigts.

-Vous ne savez pas lire de la musique, pas de problème vous allez vous en sortir quand même. Vous savez lire la musique ? cool ça va être mieux.

- Quand vous ne débutez plus, vous pouvez faire des trucs plus compliqués si vous voulez, ça marche aussi. On dirait un jouet mais en fait non, c’est un instrument.

- Il est petit et toujours posé dans un coin à portée de main. Pas besoin d’aller le sortir de sa boite !

- Vous avez déjà joué de la guitare ? il va vous falloir deux secondes pour vous y retrouver la dessus.

- Il ne peut pas être considéré comme objet de frime car il est si mignon etc: les gens qui en jouent aiment en jouer et basta.

- Et surtout, c’est la première fois de ma vie que j’ai eu l’impression de jouer de la musique pour le plaisir et pas “d’apprendre un instrument”. Jouer à la musique, dirait le poète.


Vous vous souvenez? C’est exactement le contraire.

Voilà, j’étais accroché à la joie de la musique. Pour quelqu’un qui n’est pas musicien à la base, c’est salutaire.
Je reste un piètre musicien mais je suis content.
Depuis, je fais aussi du bouzouki et de la mandoline. Pour le coup, cette fois-ci j’ai les doigts bien niqués mais je suis heureux. Merci ukulélé.


Alors et la fabrication des instruments, vous demandez vous?
Parallèlement à tout ça, j’avais deux nouveautés dans ma vie, par rapport à ma période contreplaqué/tringles à rideau: une carte bancaire et internet.
C’est donc tout naturellement que je décidais de faire moi-même mes ukulélés. Tout le nécessaire était à ma portée et ça restait jouable à construire dans la cuisine avec peu d’outils.
Je voulais faire des trucs qui existent pas, parce que là ça devient fou.


Merci pour le coup de main, poète !